LITTLE FEAT: Strike Up The Band (2025)
Billy Payne (piano, claviers, chant solo & chœurs)
Fred Tackett (guitares acoustique & électrique, mandoline, chant solo & chœurs)
Scott Sharrard (guitares acoustique & électrique, slide, chant solo & chœurs)
Kenny Gradney (basse, chœurs)
Sam Clayton (percussion, chœurs)
Tony Leone (batterie, chant solo & chœurs)
Avec :
Molly Tuttle (guitare – #08)
Larry Campbell ( chœurs – #08)
Teresa Williams ( chœurs – #08)
Larkin Poe (chant – #07)
Art Edmaiston (saxophone)
Marc Franklin (trompette)
Kristen Rogers (chœurs - #04, 06, 11, 13)
Voilà un album qui va hautement réjouir toute personne un peu dépitée de constater la quasi-exclusivité des reprises sur « Sam’s Place », l’album paru l’an dernier après un long silence d’une douzaine d’années. Non seulement nous pouvons là écouter un disque entièrement dédié à des compositions originales, mais celles-ci, quand même assez nombreuses (13), brillent par leur excellente qualité, le tout formant avec le talent des musiciens et techniciens un excellent album, varié, chaleureux et accrocheur, où se distingue particulièrement Scott Sharrard, que ce soit à la slide ou au chant, sans compter son implication dans l’écriture de sept morceaux, soit plus de la moitié de l’album ! Vraiment, ce nouvel album de Little Feat a de quoi enchanter toutes les oreilles, non seulement de ceux qui apprécient déjà le groupe, mais aussi de pas mal d’autres auditeurs.
Allons voir de plus près de quoi il retourne. L’album débute avec l’intro puissante de « 4 Days Of Heaven, 3 Days Of Work » par une section de vents bois/cuivre (Art Edmaiston au saxophone et Marc Franklin à la trompette), qui poursuit son œuvre sur un mode tonitruant tout au long du morceau au rythme chaloupé, en soutien au chant de Scott Sharrard. Celui-ci nous gratifie en outre d’une slide bien présente, avec un superbe solo. Ce n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend ! Sur le morceau suivant, « Bayou Mama », coécrit par Charlie Starr (leader de Blackberry Smoke, pour qui l’ignorerait) et Bill Payne, qui se charge aussi du chant solo et d’un bon solo de piano, Scott Sharrard montre une nouvelle fois son savoir-faire en slide. Tout ça commence très fort et se poursuit sur un mode plus calme par « Shipwrecks », une composition sur nos vies de Scott Sharrard, plus posée, mais qui gagne petit à petit en intensité, avec un chant lyrique qu’il assure lui-même. Quant à la slide… Je ne vous fais pas un dessin. Pause modérée qui ne dure pas car un bon petit riff de guitare vite soutenu par la rythmique et la section de vents introduit « Midnight Flight », morceau remuant, aussi dû à Scott Sharrard et qu’il chante bien entendu lui-même, avec l’appui de Kristen Rogers, et agrémenté d’un bon solo de guitare.
La vie réserve de drôles de surprises, et c’est le sujet du morceau suivant co-écrit par Tackett et Sharrard, « Too High To Cut My Hair », qui raconte avec humour l’aventure de Fred Tackett lorsqu'il a demandé à sa femme de lui couper les cheveux, mais a découvert (avec quels dégâts ?) qu'elle était trop défoncée pour s'en charger. On imagine le tableau ! Musicalement, il faut noter la grosse présence des vents sur une rythmique agitée, tendance funky, et un très beau final : après un changement de tonalité pour un solo de guitare, nous avons successivement une intervention des vents et un break mené par les guitares, puis un duel incisif de ces mêmes guitares, un rappel vocal du refrain avant de clore sur un jouissif solo de sax. Une intro à la slide nous emmène dans « When Hearts Fall ». Le chant principal un peu mélancolique de Bill Payne, auteur avec John Leventhal de ce morceau hanté et méditatif, est là aussi soutenu par Kristen Rogers. Comment décrire la façon dont Scott Sharrard nous dispense une slide de toute beauté en contrepoint sur tout le morceau, et se charge en plus du magnifique solo ? Après un break central à la guitare acoustique et à l’orgue, le morceau repart vers sa coda en laissant une très forte impression, avant que les chœurs des frangines Lovell de Larkin Poe n’amènent vers une mandoline pour le morceau-titre de l’album écrit par Scott Sharrard, et bien entendu il le chante. Il y parle du défi de commencer quelque chose. Lui-même se réfère ici à ses débuts dans le groupe. On peut y remarquer, outre les chœurs bien présents, un solo de piano parfait suivi de quelques notes de slide, avant de se finir avec quelques notes d’harmonica en fond sur la coda. On continue de bien remuer avec « Bluegrass Pines », un morceau syncopé, coécrit par Bill Payne et le légendaire parolier de Grateful Dead, Robert Hunter, issu de leur session d’écriture de 2012 qui a déjà produit 4 titres pour l’album Rooster Rag. Est-ce Bill Payne qui joue aux claviers la partie d’accordéon cajun ? La guitare acoustique de Molly Tuttle, la mandoline de Fred Tackett et les chœurs complètent un arrangement foisonnant.
« Disappearing Ink », une autre composition de Sharrard, qui est aussi au micro, appuyé parfois par des chœurs féminins, est une réflexion sur les relations brisées, soutenue solidement par la Fender de Tackett et le piano de Payne tandis que Sharrard s’envole pour un solo de slide qu’on aurait aimé plus long, mais on se rattrape un peu à la fin du morceau par une deuxième rasade. « Love And Life (Never Fear) » constitue une sorte d’instant « sexual healing » de l’album, grâce au chant charmeur de Tackett sur fond de rythmique complexe, avec des soli permettant de mesurer les différences de style entre guitaristes, auxquels répond un solo de piano un peu déjanté de Payne.
Retour des vents et de la mandoline pour accompagner « Dance A Little », une composition de Bill Payne se prêtant effectivement bien à la danse, et où son chant solo est encore soutenu ici et là par des chœurs incluant Kristen Rogers, le tout ne pouvant se départir d’un petit côté mexicain, ou au moins latino. « Running Out Of Time With The Blues », le titre suivant, est le seul de l’album chanté en solo par Tony Leone, le nouveau batteur. Il faut dire que les bons chanteurs ne manquent pas dans le groupe… Ce blues sans chichi sonne de façon très agréable grâce aux claviers honky-tonk de Payne et à la slide de Sharrard, avec un pont sympathique au milieu du morceau. Son côté un peu brut tranche sur la luxuriance de la plupart des autres titres, mais comme lui aussi fonctionne bien dans son style, on ne va pas lui en vouloir.
Cet album se clôt de manière contrastée car le dernier titre, « New Orleans Cries When She Sings », collaboration entre Payne et Vince Herman de Leftover Salmon, commence par une intro un peu grave au piano qui permet au chant de Payne de se poser, racontant les malheurs de la Nouvelle-Orléans et sa convalescence post-Katrina, mais soudain tout s’arrête et redémarre sur un rythme beaucoup plus joyeux, avec apparition des vents, des chœurs puissants, et de toute la folie de cette ville-martyr. Le solo de piano beaucoup plus joyeux que l’intro s’entremêle avec la trompette dans un joyeux bazar, bref, ça se met à pulser de manière fort agréable, on se dit qu’on va terminer sur une note joyeuse et débridée mais la coda remet au premier plan l’ambiance de l’intro pour signaler que malgré chants et rires, il ne faut pas oublier la tragédie générée par l’ouragan.
Saluons ici après tant d’années de carrière le retour en forme indéniable d’un grand groupe, régénéré par l’arrivée de nouveaux musiciens, doté d’une rythmique fonctionnant particulièrement bien et produisant des parties vocales et instrumentales de toute beauté, toujours imaginatives, et qui n’a rien perdu de son habilité à composer et arranger d’excellents morceaux.
Cet album très réussi est vraiment une très bonne nouvelle pour notre musique !
Y. Philippot-Degand